Stéphanie Dadour et la domestication architecturale des femmes

« Citez-moi le nom de cinq femmes architectes. » Quand Stéphanie Dadour pose cette question à ses élèves de troisième année d’architecture, elle n’obtient en général qu’une brochette de bouche bée et d’yeux exorbités. « Les femmes sont sous-représentées dans le milieu de l’architecture », explique cette enseignante de l’ENSA de Grenoble. Dans les livres d’architecture, les femmes sont inexistantes alors même qu’elles ont exercé et contribué significativement à l’histoire de ce domaine. » Née au 1980 au Liban, Stéphanie Dadour est fille d’architecte. A cause de la guerre, elle passe son enfance entre Montréal et Beyrouth. A 18 ans, elle commence des études d’architecture qu’elle abandonne au bout d’un an pour s’intéresser au design. Quelques années plus tard, avec un laboratoire de recherche parisien, elle commence une thèse en architecture sur les grandes idées des architectes nord-américains en matière d’espace domestique.

Elle passe alors une année à l’Université Columbia et s’aperçoit que les architectes nord-américains n’ont en fait que très peu d’intérêt pour l’habitat : « à part les petits pavillons suburbains, il n’y a pas grand-chose d’intéressant à ce sujet dans la deuxième moitié du XXe. » Elle découvre alors des théoriciens de l’architecture qui dans les années 1980 ont posé un regard critique sur l’habitat à travers une approche féministe, faisant ressortir les divisions genrées que ce soit au niveau de l’architecture ou des dispositifs spatiaux (l’ouverture de la cuisine sur le salon participe entre autres à modifier le rôle de la femme, et de chaque membre de la famille).

Elle découvre qu’entre le XIXe et le XXe siècle, des expérimentations, notamment aux Etats-Unis, ont tenté de redéfinir les principes de la conception de l’habitat et de contrer la « domestication » des femmes, en créant par exemple des cuisines partagées, permettant aux femmes de récupérer du temps libre, d’embaucher d’autres femmes ou de se retrouver collectivement. Bref, de créer leur propre espace « public ».

Elle s’aperçoit en outre que des historiens féministes ont retracé d’autres histoires de l’architecture, celles des femmes bien sûr mais aussi celles des minorités. C’est ainsi qu’elle prend conscience que l’architecture est pensé pour et par des hommes : l’habitat et l’espace public étant les deux espaces où les différenciations sont les plus fortes. Ces relations houleuses entre architecture et féminisme sont aujourd’hui au cœur de son travail de recherche.

IN ENGLISH :

“Cite the names of 5 female architects.” When Stéphanie Dadour asks this question to her third year architecture students, she usually triggers only silent mouths and wide open eyes. “Women are under-represented in the architecture domain”, says this Professor from ENSA, Grenoble, France. “In architecture books, women are non-existent although they significantly practiced in and contributed to this domain’s history.” Born in 1980 in Lebanon, Stéphanie Dadour is an architect’s daughter. Because of war, she spent her childhood between Montreal and Beirut. At 18 year old, she started architecture studies which she gave up a year after to focus on design. A few years later, within a Parisian research lab, she started a PhD on architecture, on the main North-American architects’ ideas about domestic space.

She then spent a year at Columbia University and realises that in fact North-American architects pay little interest to habitat: “Besides small suburban houses, there is not much interesting on the topic during the second half of the 20th century.” She then discovered architecture theoreticians from the 80s who developed critical views on habitat through a feminist approach, highlighting gender divisions at the levels of architecture or interior spaces (opening the kitchen space to the living room contributes, for instance, to modify the role of the housewife, and of each member of the family).

She discovered that between the 19th and 20th centuries, especially in the USA, experimentations attempted to redefine the paradigms of habitat design in order to counteract the “domestication” of women, for instance by creating shared kitchen allowing women to regain free time, hire other women, or to gather collectively. In brief, to create their own “public” space.

She further noticed that feminist historians traced other architecture histories, those of women of course but also those of minorities. This is how she realised that architecture is designed by and for males: habitat and public spaces being the two spaces for which differentiations are the strongest. Such tortuous relationships between architecture and feminism are now the core of her research endeavour.

2 réflexions au sujet de « Stéphanie Dadour et la domestication architecturale des femmes »

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  2. Baptiste

    « Elle découvre alors des théoriciens de l’architecture qui dans les années 1980 ont posé un regard critique sur l’habitat à travers une approche féministe, faisant ressortir les divisions genrées que ce soit au niveau de l’architecture ou des dispositifs spatiaux. »
    Quels théoriciens ? Dans quels ouvrages ? Je serais très intéressé par une bibliographie !

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